> Jason

Jason était un adulte depuis plusieurs jours déjà. Et depuis quelques temps, il avait un problème auquel il avait donc décidé de faire face: Jason avait un caillou dans sa godasse.

Le matin, il le sentait à peine, mais dès 11 heures, la pierre le gênait plus fortement, et à midi il boitait déjà, bien que légèrement disait son patron. Vers 17 heures, il sentait le sang noyer sa chaussette. Le soir venu, il prenait de long bain froid pour calmer la douleur. Ce n’était plus possible. Il fallait faire quelque chose. Jason décida de consulter.

Jason n’avait pas de médecin attitré. Il feuilleta au hasard le bottin. Son doigt s’arrêta sur une adresse proche de son domicile. Dr Rensard.

La secrétaire fit entrer Jason dans le cabinet. Il était très grand et spacieux. Au milieu de la pièce, une table sur laquelle l’infirmière frappa du plat de la main.

– Hop, dit-elle

Jason en déduit qu’il devait s’y allonger. Il se coucha sur la table lentement. La secrétaire sorti et aussitôt, le médecin entra dans la salle en courant. Il s’arrêta à hauteur du pied de Jason et l’empoigna vigoureusement. Il arracha la chaussure qu’il examina longuement. Il la secoua, l’ouverture vers le bas. Mais le caillou résistait et après une analyse fouillée de la chaussette de Jason, le médecin déclara avec aplomb qu’une seule solution lui apparaissait :

– Il faut couper le pied

Jason résista d’abord. Il visita un autre médecin, mais celui-ci lui signifia le même diagnostic. Il faut séparer le pied du reste du corps, sans quoi, le caillou pourrait se répandre dans les vêtements de Jason, et les cas de cailloux dans les gants par exemple n’étaient pas rares, entraînant de graves problèmes aux doigts, et Jason, qui était employé de bureau, devait chaque jour taper des dizaines de lettres sur un clavier blanc. Si on tranchait le pied, la douleur disparaîtrait et le mal ne se répandrait pas ailleurs. Mais Jason n’arrivait pas à se faire à cette idée. Le soir, il s’asseyait dans son lit et caressait le pied douloureux. Il pleurait. Il était seul et en plus on voulait couper son pied.

L’évidence était pourtant là. La douleur était chaque jour plus forte. Jason mettait maintenant 25 minutes pour revenir de l’épicerie, qui n’était pourtant située qu’à 120 mètres de son immeuble. Quand il n’en pouvait plus, c’est-à-dire tous les 10 mètres environ, il s’appuyait contre un mur. Il sifflotait en grimaçant un vague sourire aux passants, des voisins pour la plupart. Jason sifflait faux, la douleur déformant les sons, et les voisins se moquaient de lui. Jason se sentait de plus en plus isolé. Il fallait faire quelque chose.
On coupa le pied de Jason un mardi matin. On avait laissé sur son pied la chaussure et la chaussette. Le tout tomba lourdement sur le sol. Jason se redressa presque immédiatement sur la table d’opération. Le chirurgien sortait déjà de la salle. Sans se retourner il cria à travers son masque que c’était fini.

Les béquilles que Jason avait reçues étaient un peu petites. « Elles se donneront » lui avait dit le chirurgien avant l’opération, il faut du temps. Jason décida de rentrer chez lui à pied, ainsi, il pourrait profiter de l’air doux de cette fin de matinée tout en s’exerçant à marcher avec les nouvelles béquilles.

Jason arriva rapidement sur une petite place, au sommet de la colline la plus élevée de la ville. Il regardait autour de lui la vie qui vibrait, les voitures qui fonçaient, les passants qui se bousculaient, dans un bourdonnement permanent. Pourtant, ce matin, quelque chose avait changé, quelque chose d’autre que la perte de son pied. Durant la montée vers l’esplanade, tous ces gens semblaient lui porter une attention particulière, lui souriant et le laissant passer. Jason s’assis, il ne rentrait pas directement chez lui, il voulait flâner, regarder le monde autour de lui. Il emplissait ses poumons de l’air vicié de la cité. Il était heureux. Sans savoir pourquoi, car enfin, il sortait de l’hôpital. Il était seul. Il avait de nouveau mal, on lui avait quand même coupé le pied. Mais il se sentait bien. Il avait fait face. Il sifflota encore une fois tiens. Il sifflait juste, à nouveau.

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